Je lui ai fait le coup de la carte postale maison pendant qu’il dormait la tête en arrière, la bouche ouvert avec une main posée sur la poitrine et l’autre pendante. On aurait dit un enfant avec ses boucles brunes et sa peau hâlée. Il avait un je ne sais quoi de touchant. Ca me remuait le short mais il fallait que je parte. Je pouvais pas me permettre le luxe de pousser plus loin l’analyse sur canapé. Je m’étais allongée mais mon compteur Freudien s’était bloqué sur la case actes manqués.
« J’ai passé un bon moment, merci pour tout ; la bombance et la nuit sous la pluie d’étoiles étaient d’enfer. »
Quand je suis sortie de chez lui, j’ai vu les deux mégères fidèles à leur poste sur le banc. Je me suis dirigée vers elles et je leur ai raconté quelle bonne nuit j’avais passé.
– Vous devriez essayer. Il est très confortable…
Elles ont fait leur mijaurée. Je me suis marrée parce que ça faisait déplacé à leur âge. Elles auraient dû sourire rien qu’à l’idée que ça pourrait leur arriver encore. Mais bon…
J’avais pas pour ambition de me lancer dans le service à la personne. J’étais tellement occupée par la mienne… J’ai pris mon sac et j’ai stoppé dans la rue principale sous la cagnard.
J’ai pas eu le temps d’attraper une insolation. Une voiture rouge coupée sport s’est arrêtée pour me prendre à son bord.
A l’intérieur, il y avait un mec coupé dandy. Il a retiré ses lunettes de soleil, a planté ses yeux dans les miens et m’a demandé :
– Je vous dépose où ?
– Au gré du peu m’importe pourvu que ce soit ailleurs. Vous savez si c’est loin ?
Il a souri, remis ses lunettes et je suis montée en jouant les starlettes sans oublier de donner en souvenir mon capot aux ragoteuses de Trouduk qui ne perdaient pas une miette de la scène et j’ai jeté un dernier coup d’œil à la crèche à Balthazar. Je repensais à ses bras chauds qui m’avaient enserrés la nuit dernière et le long hiver que j’allais affronter sur cette route dans ma quête de l’impossible, mais fallait que je m’arrache. Bouge de là. Comme dans la chanson d’ MC Solar. J’ai eu un pincement au cœur, mais comme on dit : « The show must go on ».
Ken s’est tourné vers moi et m’a fait un large sourire. Il était plein de dents. J’avais l’impression qu’elles faisaient une tentative d’évasion. J’ai répondu en cachant les miennes. On n’était pas assez intimes pour ça. Puis, je le trouvais un peu synthétique. Il avait le regard en mode persienne et son visage avait une teinte ultra violet. Bref, il devait passer plus de temps devant le miroir que devant un bouquin celui-ci. S’il m’entendait penser, j’en rougirais. Quelle ingrate je fais !
Y a pas. J’avais beau tenter de me raisonner, je pouvais pas m’en empêcher. J’avais les mirettes à 180 ° et je surveillais ses mains qui quittaient le volant.Tandis que l’une papillonnait dans ses cheveux, l’autre réglait le rétroviseur.
– Ca vous gêne si je mets de la musique ?
– Je vous en prie, faites comme si.
Vous le croirez pas. Il a appuyé sur un bouton et là, stupéfaction suprême, tempête dans le hit-parade, il m’ a mis du Claude François ! J’ai harponné la poignée de la portière et deux dents suicidaires se sont lancées dans le vide de ma bouche tétanisée par l’horreur.
– Vous aimez Cloclo ? Je trouve qu’il a révolutionné le paysage audiovisuel français avec ses déhanchés et ses danseuses. Il s’est mis à fredonner :
– Voile sur les filles, barque sur le Nil ! Tou dou dou dou !
– Au secours ! Criais-je en silence. Je suis entrée dans une transe d’étanchéité spirituelle et j’ai pratiqué les exercices de respirations apprises à mes derniers cours de yoga. Il a dû prendre ça pour de l’excitation.
– Vous êtes en voyage ?
– Non, je me rends à un enterrement. J’espère arriver avant la mise en bière.
– Ah… Ca l’a refroidit sec le Ken. Il a éteint la radio et j’ai cru qu’il allait me passer un requiem. J’aurais dû me douter que la compassion c’était pas son fort.
– Dans ces moments là, ça fait du bien de se lâcher. Allez-y, qu’il m’a dit. Si vous voulez parler ou pleurer, je comprendrais tout à fait. Tenez, y a une aire de repos, juste là. Aussitôt dit, aussitôt fait. Le coupé dandy a fait un écart en équerre et nous voilà propulsés dans la twilight zone en moins de temps qu’il n’en fallait pour le subir malgré mes protestations, supplications et tout ce qui finit en « tion ».
A suivre ou pas.
Que dire, sinon mon émerveillement constant et renouvelé à chaque lecture…
J’ai ri de toutes mes dents… jaunes 🙂
A suivre, s’il te plaît, Nadia
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Merci Elisabeth ! C’est l’idée que tu puisses passer un bon moment qui m’encourage à poursuivre. Je l’entends ton rire et il est pas jaune, il est clair. 🙂
Bises !
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Ce sont mes dents… pas d’une blancheur immaculée mais elles n’ont pas l’air de vouloir sortir de ma bouche 🙂
Mon émerveillement est égal à la beauté de ta plume… merci encore, Nadia, bisous tendres…
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Les miennes de dents, eh bien elles rosissent de plaisir ! 🙂 Merci à toi, mon amie !
Bises et bon week end 😉
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Tu vas lancer une nouvelle mode 🙂
Bisous et doux week-end
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Toujours aussi enchanteur et plein de belles surprises et surtout, de cette facilité de jouer ainsi avec les mots…tout simplement sublime encore. J’aime beaucoup le côté humoristique de cette suite d’aventure Nadia! Bravo…bon jeudi et gros bisous, Delvi.
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Merci beaucoup Delvi ! Cela me fait très plaisir que ça te plaise. Je vais m’appliquer à t’amuser encore !
Bises et bon jeudi aussi. 🙂
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Quel phénomène cette Ella Katoudir, même quand elle garde les dents serrées…
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Oui, hein ? Elle n’est pas encore au bout de ses peines !
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Ni nous, au bout de notre jubilation à la suivre !
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Merci Elisa 🙂
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Yes ! Et même les fesses si j’ose dire car elle ne sait jamais ce qui l’attend. 😉
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Voilà, j’ai rattrapé mon retard, je vote pour avoir la suite. Elle va revenir à la rentrée hein ? Ps si tu veux des bonnes anecdotes d’auto-stop tu sais à qui demander !
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Merci beaucoup Sébastien ! Oui, elle va revenir et en tigra rose siouplé ! 🙂 Pour les anecdotes d’auto-stop, si ce sont les tiennes, je suis preneuse ! J’adore.
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ah ah si tu veux je te prête ma tigra !
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Yes ! Trop cool, ça m’a fait délirer cet article !
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